10 Juillet 2018
I. Section introductive
Le Petit Nord-Kivu est composé de territoires de Rutshuru, Masisi, Walikale, Nyiragongo et de la ville de Goma. Exception faite à la ville de Goma qui connait certaines attaques nocturnes contre les humanitaires, ces zones possèdent des localités enclavées ou des axes qui ont des routes presque impraticables en saison de pluie.
La situation que les organisations d’aide traversent en province du Nord Kivu est similaire à celle que leurs collègues traversent dans le monde entier depuis 2004 à nos jours ([1]).
Le passage des rebellions aux affrontements avec les FARDC en province du Nord Kivu continue de resserrer l’étau autour des ONGs et humanitaires tout en réduisant des zones d'interventions. Cette situation macabre se traduit, au contraire, par l'augmentation exponentielle du nombre des victimes délibérément assassinés, kidnappés, agressés ou pillés. Les statistiques nécrologiques en la matière évoluent de pic en pic et l'espace humanitaire se rétréci chaque jour. Par exemple pour le seule période de Janvier à Novembre 2016, plus au moins 16 agents d’ONGs et humanitaires venaient d’être kidnappés et libérés contre paiement d'une rançon dans 12 cas, et un avait été tué ([2]). Pour certains agents ONGs et humanitaires, aller travailler dans certaines entités comme celles de Beni, Rutshuru (Binza et Busanza) est même suicidaire. Cette situation dangereuse qui plane sur la province du Nord Kivu, sera corroborée par plusieurs informations, études scientifiques que nous essaierons de présenter ici pour la période de 2015 à 2016.
Comme nous le verrons, les attaques contre les ONGs et humanitaires sont purement délibérées en raison des circonstances dans lesquelles les incidents ses déroulent. La tendance qui se dégage est que la nature des incidents est leur caractère intentionnel c'est-à-dire celles infligées délibérément. Nos études ont prouvé que le nombre d’agents kidnappés ou pillés dans l’exercice de leur profession n’est pas un fruit du hasard ou de la malchance. Les agents d’ONGs et humanitaires ne sont pas victimes parce qu'ils sont mal réputés, mais ils le sont, parce que perçus, comme une cible économique.
Les menaces les plus susceptibles de se concrétiser se situent dans l'existence d'acteurs de violence divers mus par des mobiles différents qui exploitent les faiblesses de l’autorité de l’Etat, les faiblesses au niveau des mesures sécuritaires des programmes humanitaires et la passivité de la population.
La violence contre les ONGs et humanitaires ne s'abat pas aveuglement sans qu’il n’y ait certains critères sélectifs au préalable. Il s’agit normalement de l’intérêt que doit rapporter l’opération. Par exemple, les agriculteurs et autres travailleurs locaux ne sont pas plus ciblés en raison du manque des moyens alléchants pour les prédateurs. Au contraire, les commerçants comme les organisations œuvrant sur terrain sont ciblés sur base des motivations lucratives. Ils sont les seuls à pouvoir payer une rançon valable plus que les agriculteurs locaux qui sont considérés comme pauvres.
Nous basant aux motivations de cette étude, nous nous focaliserons sur les ONG et acteurs humanitaires (national qu’international). Selon le standard de la vie locale, l'humanitaire est symbole d'argent. Tout le personnel d’ONG et Humanitaire est présumé avoir des moyens financiers (frais de logement, de mission, ration, salaires des agents,…) des bonnes machines (lap top, téléphones, iPad,…) ou d'autres biens de valeur. La conséquence ce que, cette convoitise contre les biens des ONG et humanitaires occasionne des incidents qui se soldent même par la mort. C’est par exemple lorsque les auteurs d’attaques font usage d’armes à feu pour forcer les victimes de s’arrêter. Pour mieux cerner la gravité de la situation, il nous importe de faire le profilage des auteurs présumés ; les types d’incidents qui se passent dans la plus part des cas.
Partant des résultats de notre étude, il se dégage que les associations et ONG sont les victimes récurrentes. Dans la majeure partie, ce sont les nationaux qui sont pris pour cible. Pour la période de 2015 à 2016, les agents des associations nationales ont été pris pour cibles 22 fois (soit 40,7%), pendant que ceux des ONG l’ont été pendant 27 fois (soit 50%). Pour les deux types d’organisations, un total de 49 incidents (soit 90,7) démontre a priori que les associations et ONG sont les plus affectés par l’insécurité.
L’analyse des résultats indique que les causes majeures de la vulnérabilité du personnel des associations et d’ONG est que :
Partant des résultats de notre étude, il ressort que les ONG et associations partenaires sont les victimes les plus récurrentes des violences contre les humanitaires et partenaires. Les résultats se présentent dans les tableaux ci-dessous.
Tableau n° 1 : Les organisations victimes d’attaques en province du Nord-Kivu
ORGANISATIONS VICTIMES 2015-2016 | |||||
N° | Organisations | 2015 | 2016 | Total | % |
1 | Agences onusiennes | 2 | 0 | 2 | 3 |
2 | Associations Partenaires | 21 | 2 | 23 | 32 |
3 | CICR et Croissant Rouge | 0 | 2 | 2 | 3 |
4 | Mission des Nations Unies | 2 | 4 | 6 | 8 |
5 | ONGs | 20 | 19 | 39 | 54 |
TOTAL | 45 | 27 | 72 | 100 |
Source : Rapport de monitoring Protection sur les incidents contre les ONGs et humanitaires au Nord–Kivu, par UPDDHE/GL, Data base, 2015-2016.
Commentaires : Pour la période de 2015 à 2016, les agents des ONGs (organisations internationales) ont été victimes 39 fois (soit 54%). Les associations partenaires (associations de droit congolais) elles ont été attaquées pendant 23 fois (soit 32%). Les 6 incidents concernent les agents de la MONUSCO.
Tableau n°2 : Les organisations victimes d’attaques en province du Nord-Kivu
INCIDENTS CONTRE ONGs ET HUMANITAIRES 2015-2016 | ||||
Ressortissants | 2015 | 2016 | Total | % |
Nationaux | 43 | 19 | 65 | 96 |
Internationaux | 2 | 4 | 7 | 4 |
Totaux | 45 | 23 | 72 | 100 |
Source : Rapport de monitoring Protection sur les incidents contre les ONGs et humanitaires au Nord–Kivu, par UPDDHE/GL, Data base, 2015-2016.
Commentaires : Pour la période de 2015 à 2016, sur les 72 incidents contre les humanitaires, 65 (soit 96%) cas ont été commis contre les nationaux. Tandis que 7 (soit 4%) ont affecté les internationaux (expatriés). Cette proportionnalité n’est pas du tout moindre car le nombre d’expatriés sur terrain est toujours réduit.
[1] De 2014 à 2014, plus de 880 travailleurs humanitaires ont été tués dans l'exercice de leur mission et 1450 autres ont été enlevés ou blessés. Entre mai 2012 et août 2013, 134 travailleurs humanitaires ont étés tués, 172 blessés et 149 enlevés, Conseil de sécurité des Nations unies, Rapport du Secrétaire général sur la protection des civils en période de conflit armé (Xème), 22 novembre 2013, p.14 ; d’autres sources indiquent qu’entre 2008 et 2014, 1820 travailleurs humanitaires ont été victimes de violences au cours de leurs missions, The AidWorkerSecuDatabase. Entre 2002 et 2008, cette même source mentionne le nombre de 1264 victimes, soit une augmentation de 43%.
[2] OCHA, Note de plaidoyer, Juin 2016.
Dans chaque Etat, la population joue un rôle primordial dans le maintien de la paix et la sécurité. Aussi dans les cadres humanitaires, la population elle-même comme bénéficiaire de l’aide doit participer activement à l’assainissement de son environnement de protection. Dans la présente section nous présenterons les variantes failles au niveau des communautés.
Tableau n° 3 : Incidents contre les ONGs, humanitaires et partenaires par territoire (2015 - 2016)
INDENTS CONTRE LES HUMANITAIRES 2015-2016 | |||||
N° | Territoires | 2015 | 2016 | Total | % |
1 | Rutshuru | 1 | 10 | 12 | 17 |
2 | Masisi | 11 | 7 | 18 | 25 |
3 | Walikale | 6 | 2 | 8 | 11 |
4 | Lubero | 1 | 2 | 3 | 4 |
5 | Goma | 24 | 5 | 29 | 40 |
6 | Beni | 2 | 0 | 2 | 3 |
Total | 45 | 26 | 72 | 100 |
Source : Rapport de monitoring Protection sur les incidents contre les ONGs et humanitaires au Nord–Kivu, par UPDDHE/GL, Data base, 2015-2016.
Commentaires : La prise en compte des incidents comme le vol contre les humanitaires et partenaires dans la ville de Goma fait que cette entité ait un nombre élevé des cas. Sur les 72 cas, Goma ressort avec 29 cas équivalent à 40%. En deuxième position vient le territoire de Masisi avec 18 cas dont 25%. La différence c’est que les cas survenus sur terrain en dehors de Goma sont plus ciblés et constitue des graves menaces contre les activités de terrain.
Section 1. Variantes failles communautaires
La population regorgeant les communautés locales en tant que bénéficiaire devait se sentir plus concerné par la sécurité des humanitaires. Si les humanitaires sont au service des populations, et que ces derniers sont empêchés ou découragés de travailler cela affecte directement les bénéficiaires (communautés). Remarquons aussi que le climat malsain qui décourage les humanitaires le sera aussi pour les autres acteurs. Les mêmes criminels n’épargneront pas les commerçants, les étudiants, les prêtres, les éleveurs ou autres personnes tant qu’ils tirent bénéfices de leurs actes.
Partant des résultats obtenus de notre étude, l’insuffisance au niveau des communautés locales d’observe à quatre degrés. Premièrement, il s’agit d’une faible coopération avec les services de sécurité ; deuxièmement certains membres de la communauté locale sont de fois complices avec les auteurs des crimes ; troisièmement l’agent des ONG est une personne enviée au sein de la communauté qui au lieu de le considérer comme un agent voué à leur bien être le prennent comme celui vient s’enrichir sur leur dos, et afin les conflits ethniques qui ont sévi dans la région continuent de peser sur les populations. Comme nous l’avons indiqué dans les résultats, dans la plupart de cas ce sont les agents nationaux qui sont les plus affectés par les conséquences issues des insuffisances au sein de la communauté.
1.1. La faible coopération avec les services de sécurité
Comme nous l'avions dit précédemment, lorsque le système de sécurité ne trouve pas d’éléments cela affecte les résultats de ses enquêtes. Dans chaque pays, le bon fonctionnement du système de renseignement repose sur la collaboration de la population qui est à la base qui connait mieux le milieu.
Partant des résultats obtenus de notre étude, la province du Nord Kivu souffre d’une certaine faiblesse de collaboration entre les membres de la communauté locale et les services de sécurité (PNC, ANR, FARDC). La discussion avec variantes couches de la population a révèle que cette faiblesse de collaboration entre les civils et les agents de services de renseignement et sécurité tire sa base de plusieurs causes. Entre autres citons :
En vue de réduire les menaces contre les humanitaires, plusieurs efforts méritent d’être fournis quant à l’éveil de conscience collective d’une part, et une garantie de protection d’autre part pour ne pas exposer les communautés dénoncer pour ensuite être pris pour cible.
En dehors de la responsabilité du gouvernement de reformer le secteur de sécurité, les humanitaires eux-mêmes devraient focaliser certains efforts sur la mise en place d’une société civile forte et dynamique. Une société civile forte et dynamique constituerait un appui incontournable aux ONG si elle joue pleinement son rôle de « Watch dog ». Cependant pour le cas de la province du Nord Kivu les noyaux de la société civile sont plus actifs en grande ville en possèdent peu des moyens pour travailler.
1.2. Présomption de complicité (active ou passive)
La pauvreté, le chômage, et le faible taux du rendement professionnel rend une partie de la population oisive. Dans la province du Nord-Kivu, comme aussi ailleurs, pour qu'un convoi soit ciblé, il doit y avoir des gens qui fournissent l'information aux criminels. Une telle information portera sur le nombre et la couleur des véhicules, l'itinéraire, les bien transportés et autres.
Ce qui corrobore ces hypothèses ce qu’après l'incident, les enquêtes révèlent qu’il y avait des gens qui communiquaient avec les criminels et qui auraient collaboré dans le transport ou la cache de ses biens volés aux humanitaires. C’est encore ici que l’Etat dans sa mission de protéger les civils et leurs biens y inclus les ONG devrait travailler pour décourager la complicité au sein de la population. Au vu de sa qualité d’agent d’ONG, l’agent humanitaire reste une personne enviée ce qui ne manque pas d’accentuer sa vulnérabilité
Section 2. INSUFFISANCE AU NIVEAU D’ONGs ET HUMANITAIRES
Généralement, dans les situations critiques où l’on est victime, il est rare de constater sa propre part de responsabilité. Il faut une profonde introspection, ou une auto-évaluation pour déceler les failles internes.
Après avoir analysé les résultats des recherches, les insuffisances au niveau des ONGs et humanitaires seront présentés en quatre parties. Il s’agit notamment de : Variante failles au sein des organisations d’ONGs et Humanitaire (§1), et les faiblesses dans le triangle de Sécurité les faiblesses dans le triangle de sécurité (§2). Cette section permet d’observer le niveau de responsabilité involontaire des ONGS dans les attaques contre les agents et les facteurs qui aggravent la vulnérabilité sur terrain.
section 2. Variante failles au sein des organisations d’ONGs et Humanitaire
1.1. Crises et complicité internes au sein des agents
Comme toutes les organisations et structures œuvrant dans divers domaines, les organisations humanitaires connaissent aussi des crises internes. Concrètement, à l’image de leurs animateurs sur terrain, les ONG et structures humanitaires souffrent la plupart du temps de la nature de leurs rapports mutuels ou ceux avec les bénéficiaires qui rendent leur vie en danger.
Lorsqu’une organisation connait des dissensions internes, elle est de prime abord fragilisé pour faire face aux défis. Bien que cela ne soit pas habituel, il y a des moments ou les rapports de la police revalaient la complicité des agents dans des attaques contre les convois de leurs organisations. De 2013 à 2016, il y a eu plus de 4 cas dans lesquels les agents étaient de mèche avec les braqueurs. Parmi les grandes motivations il s’agissait par exemple de faire tuer un collègue par jalousie, de faciliter le pillage des sommes d’argent destinées aux paiements sur terrain. L’indiscrétion et la complicité étaient plus retrouvées chez les nationaux que chez les expatriés.
1.2. Sous équipement et dysfonctionnement
Comme toutes les organisations et structures œuvrant dans divers domaines, les d’ONGs et humanitaires connaissent aussi des difficultés liées à leur fonctionnement interne qui du reste exposent leurs agents. Le sous équipement et dysfonctionnement dont il est question ici, sont dû au matériel et à la manière dont les associations locales surtout utilisent leur matériel en général. Ceci trouve aussi fondement dans l’insuffisance des moyens logistiques dont elles disposent pour prévenir et répondre aux situations difficiles.
Les ONGs et associations locales congolaises font du mieux qu’elles peuvent face aux besoins humanitaires mais se voient toujours butées aux défis énormes sur terrain. D’une part elles trouvent peu de financement (interne et externe) qui ne peut pas leur permettre d’obtenir de véhicules de terrain et motos adaptées aux pistes villageoises. Cette vulnérabilité permet aux auteurs des crimes de les cibler sur des routes boueuses ou difficiles à traverser. Pour certaines organisations, il faut prendre des véhicules de location pour se rendre dans des zones reculées.
Parlant du dysfonctionnement, peu de véhicules possèdent un équipement suffisant et de très bonne qualité. Parmi ce matériel nous pouvons citer : le téléphone par satellite (Thuraya, Globalstar, Iridium, …), des motos tout terrain, les HF fonctionnel et /ou Radio VHF, …
1.3. Paiement de rançon comme facteur de vulnérabilité
Même si les vagues du terrorisme qui ravage les Etats ouest - africains, européens et asiatiques n’est pas le prototype de ce que font les groupes armés en province du Nord Kivu ; la prise d’otage reste un défi majeur pour l’humanité. Le commerce des otages est une activité lucrative.
Vicki Huddleston, ancienne diplomate américaine au Mali disait que « Les Européens auraient beaucoup de choses à dire sur le sujet. Ils payent des rançons, puis nient les avoir payées. Le danger, ce n'est pas seulement de renforcer les groupes terroristes, c'est aussi de rendre nos ressortissants vulnérables.» [1]. La France en a payé près de la moitié, selon une enquête du New York Times.[2]. Nous aborderons cet aspect pour le cas de la province du Nord Kivu.
Partant des résultats de nos recherches, et selon les statistiques présentées dans ce travail, 14 cas d’enlèvements contre les humanitaires ont été rapportés dans la province du Nord Kivu de 2015 à 2016. Pour 2015, il s’agit de 4 cas tandis que pour 2016, c’est 10 cas qui ont été répertoriés. Selon les sources locales, la libération des otages était conditionnée par le paiement de la rançon dont la somme varie entre 1,000 et 2,500 USD par individu. Cet état des choses indique clairement que pour les auteurs de ces actes, l’enlèvement des humanitaires est une activité lucrative. Il est bien évident que pour les victimes et les leurs il n’y a aucune autre alternative. D’abord parce que le seul espoir de l'otage qui est l'intervention de forces spéciales n’est pas possible pour une armée moins équipée et moins entrainée pour des opérations de ce genre.
Aussi, parce que l'évasion reste impossible vu le contexte géographique auquel ces victimes ne sont pas habituées. La peur de l’exécution pousse les acteurs humanitaires et membres de familles à négocier et par cette même occasion. Payer ou ne pas payer la rançon est un dilemme qui renforce le mal, ou expose la vie des victimes. Néanmoins, la plupart des pays européens et africains confrontés à ce dilemme ont choisi la moins pire des solutions : payer la rançon, plutôt que de voir son otage exécuté.
Toutefois, partant des objectifs de notre étude, et abordant l’aspect participatif au renforcement de la vulnérabilité des humanitaires ; le paiement des rançons est un autre facteur qui augmente les risques. Le défi reste au plus haut niveau de discussions et dans la plupart de fois les négociations qui sont secrètes ne sont pas suivies des déclarations. Seulement, en guise de conclure, tant que les auteurs d’enlèvement se feront tant de sommes versées par les humanitaires, la menace demeure.
1.4. Manque de capitalisation des leçons apprises et bonnes pratiques
Dans chaque domaine, il existe des pratiques, directives et expériences purement particulières qui peuvent servir aux acteurs œuvrant dans ce domaine. Pour y arriver, les différents acteurs devraient mener des recherches et s’approcher des organisations ayant une riche expérience dans différents pays. Pour les cas spécifiques de la province du Nord Kivu, les résultats de nos recherches indiquent que dans la plupart de fois les organisations œuvrant sur terrain semblent ne pas donner une importance aux bonnes pratiques que nous allons développer ci –dessous.
Pour la situation spécifique de la province du Nord-Kivu, les résultats de recherches ont relevé certaines failles. Certains responsables d’organisations ne mettent pas en place des cellules de crise ou de communication pour assurer le soutien nécessaire pour gérer un incident grave ou médiatisé pendant toute sa durée.
§2. Faiblesses dans le triangle de Sécurité
La multiplication des acteurs de la violence est un élément déterminant dans la lutte pour la survie des agents humanitaires. La spécificité de la province du Nord-Kivu, ce qu’est la présence massive d’organisations dans un terrain contenant une multitude d’acteurs de violence. La cause majeure fut l’entrée massive des réfugiés rwandais (avec des militaires déchus armés) en 1994 en province du Nord – Kivu. En plus, dans la suite, les conflits armés et rebellions qui se sont succédés dans la région ont augmenté le nombre d’armes et petits calibres. La création des groupes armés locaux et étrangers et bandits locaux n’a cessé de rendre le terrain plus complexe. Déjà, en 2015, la seule province du Nord - Kivu comptait plus de 40 groupes armés dont 2 groupes étrangers (ADF/NALU, FDLR). Pour réussir un programme au Nord Kivu, toute organisation doit avoir la capacité de à faire face aux enjeux sécuritaires. Pour y arriver, il faut des moyens adéquats à travers trois grandes tendances, trois stratégies différentes qui constituent «triangle de sécurité ». Malheureusement, partant de nos entretiens avec les acteurs humanitaires et de développement de la RD Congo et spécialement au Nord-Kivu des défis persistent. Les défis s’observent aux trois niveaux du « triangle de sécurité » dont : l’acceptation (de l’ONG dans le milieu d’accueil), la protection (du personnel), et la dissuasion.
2.1. L’acceptante ou acceptation
Par définition, cette première stratégie désigne les moyens mis en œuvre pour favoriser l’acceptation de l’organisation dans son milieu. En terme sécuritaire, ce choix signifie que l’organisation trouvera sa protection à travers les relations de confiance développées avec les acteurs en présence. Cette stratégie est celle qui, éthiquement, se rapproche le plus de l’idéal humanitaire. Sur le terrain, elle est parfois difficile à mettre en œuvre, particulièrement si les pratiques humanitaires ne sont pas reconnues ou peu différenciées des autres logiques d’action.
Pour la plupart des partenaires locaux et humanitaires surtout les associations locales, l’acceptation au niveau local n’est pas un problème. Dans une grande partie, cultiver les relations avec les acteurs locaux et les communautés est toujours considéré comme une approche efficace de la sécurité, en particulier pour les organisations locales. Cette approche tend à réussir au Nord Kivu, car un grand nombre d’organisation à base communautaire continuent à travailler. Néanmoins avec le tribalisme communautaire, les expatriés sont mieux vus par les communautés.
Si pour recruter un agent, les organisations seront alors poussées de vérifier le profil ethnique, des risques de subjectivités peuvent exister. Pour les projets à réaliser en territoire de Lubero et Beni, ceux de la tribu Nande seraient acceptés. Ceux de la tribu Hutu et Hunde et Tutsi seraient mieux acceptés en territoires de Masisi et Rutshuru, pendant que les Nyanga se sentiraient mieux en territoire de Walikale. Comme stratégie d’acceptation c’est bien, mais cela renforce les stéréotypes car en acceptant un mal on le renforce de plus. Par conséquent cet aspect créerait un écart entre les agents et bénéficiaires lorsqu’ils les observent sous l’angle tribal au lieu de les considérer tous comme humanitaires. C’est encore là les vestiges des conflits ethniques qu’a connu la zone.
Pour certains managers, ils estiment développer la théorie de la gestion à distance réduisant le nombre des expatriés sur terrain comme mesure de sécurité. Les risques sont en ce moment élevés contre les agents nationaux. La cause est que ces nationaux finissent par être perçus comme les décideurs et les gestionnaires de ressources. Toute sollicitation locale non satisfaite lorsque les nationaux sur terrain exécutent les ordres de la hiérarchie se trouvant à distance et les règles de gestion de l’organisation sera vue comme le refus. C’est aussi une autre source d’insécurité.
Le terme protection désigne les moyens mis en œuvre afin de se prémunir contre les risques et les menaces identifiés par l’organisation dans un contexte spécifique. Cette stratégie demande des ressources spécifiques et des moyens techniques : matériel de communication et de « défense passive », ressources humaines, etc. Généralement, le choix de cette stratégie est fait quand l’« acceptance » n’est plus suffisante. Ces deux stratégies ne sont pas incompatibles, au contraire, sur le terrain, on observe bien souvent un mélange des deux stratégies.
Lorsqu’il s’agit de la question de protection du personnel et de la dissuasion, ces agents restent les grandes victimes. Dans la majeure partie, les agents ne reçoivent pas de formation en matière de sécurité sur terrain.
Si l’aspect de planification, mise en œuvre et exécution doivent préoccuper les organisations, il n’est pas moins pour les aspects sécuritaires. Si les agents sont confrontés aux problèmes sécuritaires, il sera impossible d’atteindre les objectifs du projet. En d’autres termes qu’en est-il de la responsabilisation de l’agent sur le terrain ? Ce dernier se voit généralement coincé entre le désir de remplir sa mission et les dangers liés à sa survie. C’est ici que la question de la formation se pose : quelle place pour l’appréhension du « sens du terrain » dans les formations humanitaires ? Cela s’apprend-il ? Combien d’heures consacrées au relativisme culturel dans des formations parfois très techniques, plus managériales que sociales ?
Les formations humanitaires semblent donc parfois inadaptées, et pour certaines organisations même inexistantes. Aussi, pour celles dont la formation existe, il en résulte de fois un décalage entre la théorie et les réalités de terrain selon les contextes. Or, si souvent, dans les interventions (en particulier d’urgence), des problèmes évidents de sécurité existent, les procédures méritent d’être adaptées au contexte de chaque zone.
Au-delà des précautions de base, elles ne doivent pas être automatisées, mais être appréhendées au fil des évènements. Par exemple il y a de cela 2 ans les problèmes d’enlèvement n’étaient pas connus à l’Est de la RD Congo. Mais ces dernières années correspondant au début de cette recherche, ce phénomène devient de plus en plus préoccupant. Avec la multitude des groupes armés, l’humanitaire se sent de plus en plus menacé e et sent en lui le besoin de savoir comment faire ses taches tout en conservant sa vie. Les critères de sécurité créent donc de nombreuses frustrations et induisent même parfois de nouveaux risques.
Ces désillusions donnent parfois l’impression au travailleur que l’implication dans son travail, particulièrement envers la « cause humaine », n’aurait pas été différente s’il était resté dans son pays d’origine.
Pour d’autres managers, l’argument avancé c’est qu’il n’y a pas de budget adéquat pour des formations en sécurité. Par conséquent, il s’observe que les expatriés sont mieux renseignés, formés en matière de sécurité car avant de venir ils sont déjà outillés. Certains argumentent que par exemple, les blessures à un ressortissant membre du personnel ne portent sur des questions d'assurance, ou conseils aux ambassades ou aux familles dans un autre Pays. Les tenants de cette théorie ne voient pas l’importance d’user trop des moyens de formation aux nationaux. Or, ils oublient que cela affecterait de même les programmes.
Par exemple pour la période de 2015 à 2016, sur les 72 incidents contre les humanitaires, 65 cas ont été rapportés pour les nationaux contre 7 pour les internationaux (expatriés). Bien qu’il n’est pas évident que tous ces nationaux soient des non-formés en sécurité ; pour les organisations locales cet aspect fait partie des éléments clés. Il s’est remarqué que l’absence du respect des normes ou la faible formation en matière de sécurité constitue une menace aussi a été à la base des certains incidents.
Entre autre nous citerons:
Dans cette perspective, il serait souhaitable que les organisations humanitaires internationales puissent prévoir des budgets en vue d’accompagner la formation de leurs partenaires. Bien qu’il soit impossible de couvrir toutes les matières, une base solide pourrait se faire sur les points suivants :
2.3. Faible capacité de dissuasion
La dissuasion est une stratégie visant à décourager les agressions potentielles par une démonstration de force ou de puissance. Le choix de la protection armée est l’exemple type de ce parti pris. Dernier degré dans l’échelle des différentes stratégies, la dissuasion est généralement considérée comme un dernier recours, dans les cas extrêmes, quand toute autre s’avère inefficace. Ce choix ne permet pas de « retour en arrière ».
Dans le cadre de notre recherche, nous sommes concentrés sur la sécurité des ONG dans la province du Nord-Kivu. Le résultat ce que les organisations ont toujours préféré les deux premières stratégies dont l’acceptance et la protection. Les raisons étant multiples, nous nous limiterons aux aspects humanitaires et capacités nationales.
En premier lieu, les organisations humanitaires internationales ou leurs partenaires restent collées aux directives humanitaires. Il s’agit par exemple des« Directives non contraignantes sur le moment d’utiliser des escortes militaires ou armées[1] » approuvées en 2001 par le Comité permanent inter organisations insistent sur le fait que l’utilisation des escortes doit être un dernier recours.
Pour certains acteurs justifiant d’une longue expérience de terrain, la demande puis l’obtention des escortes prend du temps et ne se matérialise parfois pas. Pour eux, cela équivaut à un rétrécissement de l’accès humanitaire, et donc une réduction des actions et de leur impact sur l’amélioration des conditions de vie des populations se trouvant en urgences.
Une autre catégorie d’acteurs humanitaires estime que les escortes compromettent la perception de neutralité et d’impartialité des humanitaires. L’utilisation des militaires de la MONUSCO ou de l’armée nationale qui du reste sont considérés comme ennemis par les groupes armés. Cet aspect des choses mettrait en danger les autres agents de ces organisations bases sur terrain qui ne marcheraient pas sous escortes. Cette situation pourrait non pas seulement ternir l’image des organisations, mais aussi elle pourrait accroître le risque d’attaques sur les humanitaire. L’usage d’escortes armées pourrait donc s’avérer contreproductif en exposant les humanitaires à des attaques à moyen terme, et plus encore lorsque les forces onusiennes ne seront plus là.
Une autre analyse faite est que le nombre réduit des militaires nationaux ou les Nations Unies ne permettrait pas que les ONGs y recourent toujours. D’abord ces deniers ne peuvent pas contrôler des vastes zones du pays et de fois inaccessibles par véhicules.
En dernier lieu, si les ONG sont tant réticentes à une quelconque coopération, c’est parce que la bévue des militaires nationaux retentit sur elles et compromet leurs actions. Par exemple dans certaines occasions, les militaires sont accusés de commettre des violations des droits de l’homme sur terrain face aux déplacés et populations hôtes. Par conséquent il serait difficile de les utiliser en vue d’aller distribuer de l’aide aux mêmes populations qui indexent certains d’entre eux d’indisciplines.
Partant de toutes ces raisons sus évoquées, l’humanitaire apparait comme vulnérable. Tout d’abord fragilisé en son sein par le dysfonctionnement organisationnel, ensuite exposé aux risques d’aller seul sans escorte pour le respect des principes et de ne pas se confondre aux parties en conflits. La conséquence directe c’est une augmentation du nombre d’attaques.
[1]) IASC, Utilisation d’escortes militaires ou armées pour les convois humanitaires : Document d’analyse et directives ne faisant pas autorité, 14 septembre 2001.
Conclusion
Il ressort de cette étude que les ONGs semblent négliger une deux aspects qui contribueraient à renforcer leur sécurité. En effet, un renforcement de la société civile à la base, un bon partenariat avec les médias locaux seraient un atout. La société civile à la base jouant son via rôle de « veilleur » contribuerait à dénoncer, faire des recommandations aux instances de sécurité et politiques avec des preuves et rapports solides sur la dégradation de la sécurité en faveur des humanitaires et de la communauté en général. Le renforcement des capacités des acteurs des médias augmenterait leurs capacités d’analyse du contexte humanitaire, et permettrait à interpréter les agissements des humanitaires et du gouvernement sans émotions ni parti pris. La dénonciation des méfaits causés par l’insécurité, la divulgation des extraits du Droit International Humanitaire aux radios et journaux locaux sont des voies privilégiées pour attendre le public et détracteurs. Comme quatrième pouvoir, les médias serviraient aussi à éveiller la conscience et contrebalancer la volonté politique des dirigeants. Pour y arriver, faudra-t-il aussi que les humanitaires aient des projets ou budgets intégrateurs de l’aspect protection et communication a la base.